Les médias parlent régulièrement de maltraitance en maison de retraite. Laissez-moi vous faire part de l'envers du décor avec cette description de la journée type d'une aide-soignante en EHPAD...
Il est 7h40 quand je tapote le code d’entrée de l’EHPAD dans laquelle
je travaille depuis deux semaines en tant qu’aide-soignante vacataire. J’arrive
tous les jours 20 minutes en avance dans
l’espoir d’avoir plus de temps pour bien
faire mon travail. Comme la plupart des autres jours, je ne sais pas avec qui je
vais travailler. L’agent des services hospitaliers avec qui
j’étais censée me partager le travail a été renvoyée pour absentéisme
juste avant ma prise de poste début aout. Bref, peu importe il faut faire
avec. Je file au vestiaire me changer, le compte à rebours a commencé. Je monte
tout d’abord mon charriot de soins, la poubelle et les sacs à linge au 5ème
étage, où je suis chargée de faire les toilettes des résidents. Mais il faut
d’abord que je m’occupe de servir les petits déjeuners des 4ème et 5ème
étages, c’est-à-dire servir environ 20 résidents, les installer et aider les
personnes qui ne peuvent pas s’alimenter seules. Pour effectuer cette tâche je
possède un charriot préparé par l’équipe de nuit où il manque à chaque fois
quelque chose. Alors, je recompte les bols, les pains, les sucrettes, etc. pour
ne pas avoir à redescendre au rez de chaussée
chercher ce qu’il manque. Quand tout se passe bien il me faut une heure
pour servir tout le monde mais bien malheureusement il est très rare de ne pas
avoir d’imprévu. Une personne malade, un résident ayant envie d’aller aux
toilettes ou encore une tasse renversée suffisent à me faire prendre du retard
sur le planning. Après le service, il faut bien sûr débarrasser toutes les
chambres et descendre le charriot à la plonge qui est au sous-sol.
Il est déjà 9h10, il ne me reste
que 2h50 pour réaliser, seule, la toilette, l’habillage, la réfection des lits,
le rangement des chambres des huit
résidents dont j'ai la charge et les descendre dans le
réfectoire pour le repas du midi. Soit 21 minutes 25 secondes par résident, tout
inclus et six d'entre eux ne marchent pas ou très mal. Autant dire qu’à cette cadence impossible de respecter le rythme de la
personne, de passer du temps à régler la température de l’eau des douches
déglinguées. Effectuer un rasage et un brossage de dent ou prendre sa douche il
faut choisir, impossible de rester zen lorsqu’il n’y a plus de vêtements propres
ou corrects à mettre à la personne. Bref le temps de rien, le temps du strict
minimum, le temps d’être maltraitant, le temps d’avoir honte de ne pas faire
son travail correctement. La pause d’un quart d’heure prévue à midi, je ne l’ai
jamais prise : impossible.
Midi….ouf j’ai descendu tout le monde en bas. Il n’y a qu’un ascenseur
handicapé pour 5 étages où rentrent difficilement deux fauteuils roulants, mais
après 4 allers retours on y arrive. Une fois dans le réfectoire, il faut se dépêcher de finir de mettre la
table, attacher les serviettes autour des cous, servir les plats, l’eau. Puis
aider les personnes les plus dépendantes à manger. Bouchée par bouchée essayer
de faire avaler un maximum de cette nourriture infecte aux résidents pour
limiter la dénutrition. Au fur et à mesure il faut débarrasser les plats et
servir sous l’œil de la directrice, de la gouvernante, de la cadre
infirmière : véritables contrôleurs des travaux finis. « N’oubliez
pas de les faire boire » « Aidez Madame X à manger »,
« L’eau n’est pas assez fraiche », « Il faut leur parler
surtout », « Eteignez la télé », « Rallumez la
télé », « Pourquoi avez-vous mis des serviettes en
papiers ? » , … Venant de personnes que l’on voit une bonne
partie du temps en train de boire le café dehors , la clope au bec…
j’avoue qu’on l’a un peu mauvaise la réflexion. Non pas parce ça n’est pas vrai
mais juste parce que nous soignants à 12h, on est épuisé, transpirant, les
cheveux en bataille, le dos et les bras en compote et la tête en surchauffe. On
ne réfléchit plus qu’en termes de nécessité vitale : être en vie, être
propre, être habillé, être nourri et hydraté.
Il est 13h, je pars en pause pour 1h. A partir de ce moment de la
journée, on sait que le plus dur est derrière nous, on sait qu’on sera moins
pressé par le temps. L’autre équipe aide les résidents qui n’ont pas fini de
manger, débarrasse les tables, les nettoie, change les nappes et remonte les
résidents qui font une sieste.
14h : je reviens de pause avec mon binôme. L’autre équipe part prendre la sienne, elle s’occupera du goûter en
salle et dans les étages. Aujourd’hui, avec mon binône, nous nous occupons de changer les protections, en terme moins académique, les couches des
résidents. On commence par les changes de ceux restés dans le réfectoire.
Jusqu’à 15h, il faut que l’une de nous deux reste en salle et que l’autre
commence les changes dans les étages. Il y a environ 35 patients à changer
entre 14 et 17h soit environ 5 min par change déplacement compris. Heureusement
que les résidents ne sont pas des coucous suisses et ne font pas tous leurs
besoins en même temps. Une règle pour les soignants : fuir le jour des
laxatifs qui tombe souvent le lundi. Cela m’est arrivé une fois, erreur de
débutante, et c’est le cauchemar. Non seulement parce qu’il y a le challenge du
timing mais aussi parce que la
gouvernante ne met pas assez de gants de toilette, de protections, d’alèses et
de gants en latex sur le charriot les
jours de «marasme». Et que souvent il est difficile de la trouver pour négocier
le matériel qui est enfermé à double tour dans la sacro-sainte « salle des protections » dont nous
n’avons évidemment pas la clé. Branlebas de combat avec tout ce qu’on
trouve : PQ « papier de cigarette » qui reste coller aux fesses,
serviettes de toilette, ancienne protection, …. Déploiement d’inventivité
pour maitriser le glissement de terrain.
Bref au final on y arrive tant bien que mal.
Il est 17h, on est épuisé mais contents parce que la journée passe, que
c’est bientôt fini et qu’on a relevé le challenge un jour de plus. On est
transpirants, on sent la merde, et on essaye de se souvenir qui a fait caca ou
pas, quelle forme, quelle quantité, quelle couleur. Toutes ces informations
précieuses sont à répertorier dans la « cacothèque » ou logiciel des
transmissions. Comme beaucoup de logiciels professionnels, la chose est
tellement bien ficelée qu’il faut confirmer par trois fois qu’une personne a
fait ses besoins, soit 9 clics par patient soit en tout environ 315 clics pour
la précieuse crotte que tout le monde attend comme le messie. Il est 17h15: on
a le droit à un quart d’heure de pause avant de mettre la table du diner. Il
est 17h30, mise en place du réfectoire et descente des 50 patients.
A 18h pétantes, tout le monde est prêt pour la soupe !! Rebelote
avec le gavage. Il faut inventer de multiples ruses pour faire avaler les
médicaments, pour que les bouches s’ouvrent devant les purées.
Il est 19h, tout le monde doit avoir fini de manger. Il me reste 30 min
avant ma débauche prévue à 19h30. Je dois coucher 5 patients soit 6
min/patient. Là, pareil que le matin on fait comme on peut. Vade retro robe ou
pantalon récalcitrants, dentier accroché, chemise de nuit absente et autre
contrariété…
Il est presque 20h …la journée est enfin terminée.