mercredi 26 février 2014

2ème partie : Dans la peau d'une aide-soignante en maison de retraite


La description  faite de la journée d'une aide-soignante en EHPAD dans la première partie est très schématique et déshumanisée. A tout cela, il faut rajouter de très bons moments passés en compagnie des résidents. Véritables rayons de soleil, ce sont eux qui nous donnent le courage et la motivation pour revenir le jour suivant. Les rares moments où l'on peut se poser pour échanger sont  des moments magiques.

Cette deuxième partie se veut plus analytique: je tenterai d'y developper les principales causes de la mauvaise prise en charge des personnes agées en EHPAD et de proposer une solution.



Les rapports de certaines institutions sanitaires  ainsi que certains medias veulent nous faire croire, qu’une des raisons de la maltraitance, est le manque d’attractivité du secteur gériatrique, la dévalorisation et le non-respect du troisième âge. Qui  a dit que les personnes âgées sont à fuir ? C’est absolument faux !! Lorsque j’étais à l’école infirmière et je peux vous assurer qu’il y avait autant d’élèves attirés par la gériatrie que par la cardiologie. Et, contrairement à ce que l’on pourrait croire, plus d’étudiants sont attirés par la gériatrie que par la pédiatrie. Malgré tout, les expériences en stage dans les maisons de retraite ont, pour la plupart, été très mal vécues par les étudiants. Pourquoi ? Un personnel en sous-effectif et non qualifié faisant fonction d’aide-soignant, une avarie de matériel, une infrastructure branlante, une surcharge de travail et une mauvaise prise en charge de nos ainés . La plupart du temps le stagiaire infirmier devient veritable employé et ne sert qu'à pallier au manque de personnel. Il y a là de quoi dégoûter n’importe qui de travailler dans les EHPAD  et en particulier ceux qui aiment les personnes âgées. Résultat final, aucun des étudiants attirés par le secteur gériatrique n'a au final choisi de travailler dans le secteur gériatrique.

Le sujet de la maltraitance en institution pour personnes âgées n’est pas nouveau, on le rencontre régulièrement au sein des pages faits divers des quotidiens. Qu’est-ce qu’il y a sous le terme maltraitance ?  Brièvement, la maltraitance englobe la violence physique, psychologique, sexuelle et les privations de soins, de nourriture, d’affection et d’attention.

Au lieu d’avouer que la principale cause de maltraitance est la pénurie de personnel et l’embauche de personnes sous-qualifiées, les dirigeants d’EHPAD  veulent faire croire que certains soignants sont maltraitants de manière intrinsèque et qu’ils doivent analyser leur comportement  pour pouvoir le modifier.  Comme il y a le déviant sexuel, le violent pathologique … il y a le soignant maltraitant. Dans ce domaine comme dans d’autres, une minorité des soignants  sont des pervers sadiques. Les autres, je vous rassure sont normalement constitués, voir le plus souvent très bienvaillants.  Pourtant les actes de maltraitance ne sont pas exceptionnels, alors cherchez l’erreur…

Au sein de l’EPHAD dans laquelle j’ai travaillé, des réunions avec une psychologue sont organisées pour parler du sujet. Il existe même ‘’un projet personnalisé qui (permettrait) à l'ensemble des collaborateurs de s'approprier la démarche d'accompagnement et de prise en soins de la Bientraitance’’ : que de beaux projets pour masquer une réalité moins rose et pourtant loin d’être irréversible. 

Je suis restée un mois dans cette structure en tant qu’aide-soignante vacataire. L’établissement héberge une cinquantaine de résidents, c’est une structure à taille humaine de la région parisienne. N’ayant jamais mis les pieds dans une structure similaire, je ne peux être sure de ce que j’avance mais je pense sincèrement me trouver dans une structure tout à fait correcte. Alors, me direz-vous, pourquoi persistent des situations de maltraitance quotidiennes ?? Le personnel serait-il si inhumain,  si inconscient pour traiter nos seniors de la sorte ?
J’ai constitué une liste qui selon moi regroupe quelques-uns des principaux  facteurs favorisants des situations de maltraitance au sein des EHPAD :

1.       L’embauche de personnel sous-qualifié par les EHPADs

 Dans ma structure, la moitié du personnel soignant est composé d’agents de services hospitaliers (communément appelés ASH) exerçant en toute illégalité le rôle d’aide-soignant (ou AS) grâce au bon vouloir de la direction.
Selon l’article 11 (abrogé au 31 décembre 2008) du Code de la Sante Publique modifié par le  Décret n°2000-844 du 31 août 2000 - art. 1 JORF 2 septembre 2000 et abrogé par Décret n°2007-1188 du 3 août 2007 - art. 23 (V) JORF 7 août 2007 en vigueur le 31 décembre 2008 : ‘’Les agents des services hospitaliers qualifiés sont chargés de l'entretien et de l'hygiène des locaux de soins et participent aux tâches permettant d'assurer le confort des malades. Ils ne participent pas aux soins aux malades et aux personnes hospitalisées ou hébergées.’’ Enfin, exercer la profession d’ASH ne nécessite ‘’aucune condition de titres ou de diplômes’’.

Sur le papier il n’y a pas entorse à  la loi puisque les ASH sont censées servir les petits déjeuners et effectuer seulement les aides à la toilette des personnes les plus indépendantes. Dans les faits, l’organisation est toute autre : chacun fait comme ça l’arrange. Aux vues de la charge de travail, les aides-soignantes ne veulent pas avoir à s’occuper uniquement des patients les plus lourds, ce qui serait trop épuisant physiquement.

Pourquoi les EHPADs se risquent-ils à détourner  la loi ? Réponse : L’intérêt financier. Un ASH « coûte » moins qu’un AS. La différence se monte à un peu plus de 200 euros brut par mois, hors charges patronales (1.204 euros brut /mois  pour un ASH contre 1.419 euros brut/mois pour un  AS)

Un tel choix de la direction n’est pas sans conséquences pour la santé et le bien-être des résidents, car le travail d’un AS ne consiste évidemment pas uniquement à « torcher des fesses ». Lors de mon immersion j’ai assisté à de nombreuses fautes d’hygiène, évitables autrement. Par exemple, j’ai pu voir un résident se faire nettoyer les parties intimes avec un gant souillé de selles, ce qui entraine, à coup sûr, des mycoses génitales et anales voir des cystites ou autres infections rénales.

Le titre d’AS assure aux employeurs que la personne a été considérée apte à exercer ce travail par toute une équipe soignante avec qui elle a travaillé pendant 1 an. Ce titre assure que la personne a acquis au cours de sa formation des compétences en soin d’hygiène et de confort essentielles à la prise en charge des personnes âgées. Bien sûr, une personne, autre qu’aide-soignante est capable de faire preuve d’hygiène mais  en règle générale la formation d’aide-soignant limite les dérives.  Les aides-soignantes ont reçu les bases, connaissent les protocoles. De plus, le diplôme certifie que l’employé sait lire et écrire français et qu’elle a des notions en anatomie, pharmacologie,… Toutes ces compétences sont indispensables pour s’occuper d’une personne âgée. Il est indispensable aussi pour communiquer avec les personnes âgées mais aussi pour administrer certains traitements comme des crèmes antimycosiques par exemple. 

Alors il est vrai que les EHPAD rencontrent de nombreuses difficultés pour embaucher des aides-soignantes.  Non parce qu’il y a pénurie, mais parce que le poste n’est pas du tout attractif. En maison de retraite, les aides-soignantes savent qu’il y aura surcharge de travail, pénurie de personnel et de matériel. La question n’est pas comme le pensent certains : que personne n’aiment s’occuper des ainés…loin de là….

2.       Créer des situations de travail difficiles 

Donner toujours plus de travail tout en faisant culpabiliser les employés. Chaque jour les encadrants poussent un peu plus à bout les employés en leur trouvant de nouvelles tâches à accomplir : faire la poussière dans les chambres, ranger les vêtements dans la penderie, sortir et vider les poubelles, nettoyer l’adaptable, donner les médicaments,  nettoyer la salle du personnel et les vestiaires… Autant de tâches qui misent bout à bout en plus du reste, relèvent des compétences de quelqu’un ayant des superpouvoirs. Il existe un jeu d’interdépendance entre les deux instances mais le rapport de force tourne toujours en faveur de la direction : pour l’un il y a la peur du chômage et pour l’autre juste la nécessité de trouver un remplaçant au plus vite. Le compte est vite fait : on sait qui va mener l’autre par le bout du nez. Est-ce  qu’il n’y a que les femmes sous diplômées et en situation précaire qui acceptent encore de travailler en maison de retraite ? Je ne sais pas. Je sais par contre que les EHPAD savent qu’il est plus facile de presser comme des citrons les personnes ayant des difficultés sociales.  Les conditions de travail sont tellement difficiles que les équipes sont instables, il y a souvent des absents. Donc les conditions sont encore plus rudes, on fait de la débrouille pour assurer le minimum…  dont le seuil est parfois très bas.

3.       Embaucher une équipe soignante en constant sous-effectif :

Par équipe il y a entre 5 et 6 soignants pour cinquante résidents repartis sur 5 étages. Soit une moyenne de 8 à 10 patients par soignant. Chaque soignant à environ 3h30 pour s’occuper de 10 patients soit une moyenne de 20 min par patient : ce temps comprend l’aide à l’alimentation, l’aide à la toilette, l’aide à l’habillage, la réfection du lit et, au désir de la direction, les nombreuses autres taches annexes qu’il faudrait accomplir. Bien sûr, cette aide dépend de l’autonomie du patient. Mais si vous faites une estimation du temps qu’il vous faut à vous adulte d’âge moyen pour petit déjeuner, vous laver, vous habiller et faire votre lit le matin alors que vous êtes en bonne santé physique et mentale. On sait qu’en EHPAP il y a en moyenne,« 38.8 % des patients qui sont très lourdement handicapés (GIR 1). 37.4 % qui sont confinés au lit ou au fauteuil ou ont les fonctions mentales altérées avec conservation des possibilités de se déplacer (GIR 2). A l'opposé, on constate que 2.9 % des patients sont complètement autonomes pour les actes discriminants de la vie courante (GIR 6). 2.6 % assurent seuls leurs déplacements à l'intérieur, s'alimentent et s'habillent seuls (GIR 5). Les hommes sont, dans l'ensemble, plus autonomes que les femmes. » (http://ile-de-france.sante.gouv.fr/sante/prs-comp.pdf)


Vous constaterez aisément que relever le challenge du 20 min par résident n’est pas chose facile avec une personne qui fait des fausses routes, ne marche pas, est incontinente, et souffre de sénilité. A partir de ce constat, quels choix ont les soignants ?

- Bâcler le travail.
C'est-à-dire comme j’ai vu faire : laver uniquement le visage, les mains, les parties intimes et changer la protection. Habiller une personne par-dessus sa chemise de nuit. Oublions le lavage des dents, l’hydratation de la peau, … réservés aux jours de fête. Les personnes qui marchent seules sont souvent délaissées au profit de ceux qui sont impotents même si ces premières ont des déficiences mentales et qu’elles se lavent mal, ne se changent pas d’un jour sur l’autre… Nous rentrons là dans une situation de maltraitance par négligence. Personnellement, j’ai très mal vécu le fait de devoir parfois bâcler ma prise en charge par manque de temps : c’était une réelle souffrance psychologique. J’avais le sentiment de ne pas pouvoir faire autrement pour pouvoir m’occuper de tous les résidents. J’ai beaucoup culpabilisé de ne pas réussir à faire mieux avec le temps dont je disposais.

- Faire des heures supplémentaires non rémunérées.
Certains soignants arrivent entre une demi heure et une heure en avance au travail pour pouvoir travailler dans de meilleures conditions. C’est un choix généreux sachant que cela se fait au détriment de leur vie personnel et que le seul avantage perçu est d’avoir le sentiment d’avoir bien fait son travail….  Je tiens à dire que lors de mon passage en EHPAD j’ai constaté que les soignants souffrent beaucoup de ne pouvoir s’occuper comme ils le souhaiteraient des personnes âgées. Pour la plupart ils exercent leur travail avec un grand souci du bien-être de la personne et aussi avec beaucoup d’affection. Seuls certains éléments, comme dans toutes les structures, n’ont rien à faire auprès des personnes âgées. Ils sont là parce qu’ils n’ont aucun diplôme, cherchent un travail et ils y restent parce que la direction semble apprécier leur rapidité d’exécution du travail, leur disponibilité aux heures supplémentaires et le fait qu’ils ne se plaignent que rarement : une aubaine pour l’EHPAD, un cauchemar pour les personnes âgées.








Alors il est bien beau de faire de longs discours sur ce qu’est la Bientraitance et la Maltraitance mais disons-le, c’est surtout prendre les soignants pour des ‘’poires’’. Il semble clair qu’il existe d’autre moyens pour régler le problème que d’en parler, que de faire de belles réunions menées par des psychologues moralisateurs et bienpensants, prenant les traits de philosophes l’espace d’une heure ou deux pour  faire réfléchir les soignants sur leur pratique professionnelle.

La solution n’est selon moi pas si compliquée : il est nécessaire de gonfler les effectifs soignants !! Mais, à quel prix pour les dirigeants des maisons de retraite ? Là, c’est une question de choix et d’éthique professionnelle. Il serait donc judicieux  que les directions suivent ces mêmes réunions philosophiques sur la Bientraitance et la Maltraitance. Il faudrait revoir les normes qui fixent les taux de présences professionnelles au sein des maisons de retraite : j’ai  constaté qu’il y a un sureffectif d’encadrants pour un sous-effectif d’exécutants. Peut-être alors qu’en renversant la balance, ces maisons ne perdraient pas d’argent et que les situations de maltraitance diminueraient. L’équilibre entre intérêt financier et intérêt éthique n’est pas facile à tenir. On sait bien que c’est l’intérêt financier qui prime, mais peut être pourrait on allier les deux en allégeant la charge de travail de ceux qui ont la part la plus pénible physiquement et mentalement.

On sait que les maisons de retraite sont très attractives pour les investisseurs ce qui est selon moi un gage que c’est un secteur qui rapporte. Ce secteur est un investissement d’avenir puisque le nombre de personnes âgées doublera d’ici 2015 et qu’il y a une forte demande de création de structures d’accueil pour personnes dépendantes. Le secteur public quant à lui s’essouffle à cause des coûts importants de mises aux normes des structures. On sait que le chiffre d'affaires d'Orpea a triplé entre 2004 et 2008 et que son bénéfice net est passé de 19 à 48 millions d'euros. Sur la même période, les revenus de son concurrent Korian ont été multipliés par cinq mais son résultat a seulement triplé. On sait également que les tarifs qui vont de 60 à 100 euros par jour en moyenne dépassent de beaucoup le revenu moyen des personnes âgées, environ 1700 euros par mois. Les EHPADs privées visent essentiellement les personnes âgées les plus aisées.

Le groupe de l’EHPAD dans lequel j’ai travaillé cet été  affiche de très bons résultats sur les trois premiers trimestres 2011 avec un chiffre d’affaire en hausse de 9.4 % et un CA total de 744,5 millions d’euros. Il s’assure d’ores et déjà une croissance de 30% sur la période 2010-2013.  Les résidents de la structure paient 3000 euros par mois ce qui est la norme en région parisienne. Moralité ça n’est pas une histoire d’argent !! Augmenter les effectifs soignants, c’est améliorer les conditions de travail, stabiliser les équipes, diminuer le personnel en situation de précarité, diminuer les situations de Maltraitance, améliorer la qualité de vie des seniors.


Les rapports institutionnels français, européens et mondiaux font le constat suivant : la maltraitance est, entre autres,  le résultat d’une surcharge et d’un effort de travail trop intense ainsi que le manque de qualification des soignants.  Mais les mesures mises en place ne traitent que le problème en surface : on noie le poisson avec des résolutions superficielles comme des campagnes d’information et de prévention ainsi que des réunions de travail sur la Bientraitance. J’aimerai comprendre pourquoi les gouvernements n’imposent pas aux EHPAD un gonflement des effectifs soignants, une interdiction de faire travailler des ASH faisant fonction aides-soignants.  Je pense qu’avec ces deux mesures, les conditions de travail seraient bien meilleures et que du même coup cela augmenterait l’attractivité du secteur gériatrique.