mercredi 24 avril 2013

Chagall au Musée du Luxembourg

Du 21 février au 21 juillet, le Musée du Luxembourg à Paris expose les œuvres de Chagall  autour du thème "Entre guerre et paix". Thème large puisque les guerres vont rythmer toute la vie de Chagall. 
Voici quelques clés pour comprendre le parcours d'exposition.

En 1914, après 4 ans de formation à Paris, Chagall retourne en Biélorussie pour retrouver Bella avec qui il se marie en 1915. La Russie rentre en guerre et commencent les pogroms et l'exode juif.   Etant employé dans un bureau à Saint-Petersbourg, Chagall échappe aux combats mais il assiste à l'exode, au retour des soldats bléssés,  au va et vient des militaires dans la rue. En 1923, il quitte la Russie définitivement pour Paris où il reste jusqu'à ce que le contexte politique l'oblige à s'exiler aux Etat-Unis. En 1937, les nazis saisissent ses oeuvres dans les collections publiques allemandes pour les présenter dans une exposition "Art dégénéré" à Munich. En 1941, il quitte Paris pour New-York. Les oeuvres qu'il produira à ce moment là, sont marquées par la représentation de la souffrance humaine et plus précisement celle du peuple juif, sous la forme  d'un christ en croix vêtu du talit. En 1944, alors qu'il vit aux Etats-Unis, Bella meurt des suites d'une infection virale. Chagall est effondré et restera un moment sans peindre. En 1949, peu après la fin de la guerre, il retourne en France et y restera jusqu'à sa mort, à Orgeval, en banlieue parisienne puis, à Saint-Paul de Vence, sur la Côte d'azur.

La vie de Chagall s'articule autour de ses déplacements successifs. Tout d'abord, il y a la ville de son enfance, Vitebsk. C'est en Biélorussie, dans cette ville de 60 000 habitants que naît le peintre. Vitebsk est pleine d'églises orthodoxes imposantes comme la cathédrale d'Ouspenski ou celle de la rue Prokowskaîa dont on voit les coupoles et les dômes dans de nombreux tableaux. Les isbas en bois et leurs fermes jalonnent les rues, il y a aussi le pont qui passe au dessus de la Dvina. On retrouve aussi dans les représentations de Vitebsk, la flore russe avec ses forêts de sapins, de bouleaux et ses paysages enneigés. Cette ville renvoie à son enfance et au souvenir, sa représentation est toujours teintée de mélancolie.

Ensuite c'est Paris, "sa ville d'accueil", qui imprègne la peinture de Chagall . La ville est représentée par ses monuments : la Tour Eiffel, Notre-Dame de Paris, les ponts, la place de la Bastille. Les représentations de la ville ne sont pas réalistes mais sont plutôt des évocations poétiques et fantaisistes. Paris c'est la ville où il rencontra ses confrères artistes : Blaise Cendrars, Apollinaire, Delaunay. C'est une part de son identité artistique et c'est aussi sa seconde patrie. Dès 1937, Chagall prendra la nationalité française pour fuir l'antisémitisme d'Europe centrale.

En 1966, Chagall s'installe à Saint-Paul de Vence, sur la côte d'azur. Elle est représentée avec ses remparts et sa tour carrée médiévale, ses paysages maritimes. C'est la ville de la maturité, là où il passera les 20 dernières années de sa vie. Elle est associée à une image de bonheur, d'harmonie et de sérénité.

L'amour est omniprésent dans l'oeuvre de Chagall, l'amour pour sa famille, pour Bella, sa première femme, pour Vava et Virginia Haggard les femmes avec qui il partagera sa vie après la mort de Bella. Le couple, il le sème comme symbole indestructible, ciment de sa vie, patrie dans l'exil. Son couple avec Bella est particulièrement récurrent au sein de l’œuvre : cette femme, il l'adore, il l'admire, c'est "la" femme de sa vie. Ils ont grandi ensemble dans le même petit village Biélorusse. Ils ont beaucoup en commun : à eux deux, ils transportent au fil de leur exil, leur pays, leur culture juive, leurs souvenirs d'enfance. Le couple est la seule structure sociale capable de le protéger, de l'héberger, de lui donner le sentiment qu'il est chez lui ailleurs. Pour lui, son couple est un refuge. Le couple représenté dans l'envol représente aussi la plénitude amoureuse. Les couples hybrides sont eux inspirés du folklore russe, les Loubki, qui sont des personnages aimables, loin des monstres hybrides occidentaux. Le bouquet de fleurs symbolise l'amour, c'est aussi un hommage à Bella qui en apportait beaucoup à la maison. Le bouquet de fleurs symbolise également les moments heureux, les fêtes, l'intimité du foyer.

L'artiste restera sans cesse très attaché à ses racines juives et cela d'autant plus qu'il part de Vitebsk pour fuir les pogroms de la révolution russe. Le juif errant est  d'ailleurs, une figure récurrente dans la peinture de Chagall et représente la fuite  perpétuelle de  son  peuple. Il illustrera la Bible en 1930, se rendra en Palestine en 1931. Il veut maintenir le lien avec ses origines et son identité pendant l'exil. De nombreux éléments de tableaux sont chargés en tradition juive : le menorah ou chandelier à sept branches, la houppa ou dais traditionnel rouge qu'on place au dessus des jeunes mariés, le christ couvert d'un châle de prière juif le talit, Adam et Eve, une ribambelle de personnages bibliques : Abraham, Josué, Moise, Salomon, Noé,.. Dans la peinture de Chagall, le christ est symbole de la souffrance humaine, collective et individuelle et en particulier, symbole de la souffrance des juifs. Le christ en croix est d'ailleurs toujours vêtu du talit. Au sein des tableaux, on rencontre aussi des anges : ils sont soit annonciateurs de catastrophe, soit représentent l'inspiration artistique comme don du ciel, ou encore sont porteurs d'espérance et de paix. Ils sont en tout cas des messagers.

Tout au long des peintures, vous apercevrez, toutes sortes d'animaux : des ânes, des chèvres, des boucs, des poules et des coqs, des oiseaux, des poissons...Le bestiaire de Chagall est constitué d' animaux familiers, d' animaux de la ferme, d' animaux nourriciers, d' animaux  doux,  inoffensifs pour l'homme. Chagall utilisera l'âne, le bouc et parfois le coq pour faire son autoportrait. L'âne, animal doux, patient, docile sera souvent utilisé pour montrer sa soumission  à sa femme Bella .

Le coq et la poule quand à eux ont plusieurs significations. Le coq est utilisé pour son image de reproducteur, comme image de l'amour viril. Les poules et les coqs sont aussi utilisés comme image de rédemption, dans la tradition juive, lors du Grand Pardon, on offrait une poule à chaque femme et un coq a chaque homme, à qui ils avouaient leurs fautes avant de les sacrifier.  Le coq et la poule font aussi parti des souvenirs d'enfance , de la vie à Vitebsk.

Le poisson est lui non seulement  un symbole christique mais aussi un symbole de retour au calme, à la vie. Souvenir des harengs de Vitebsk, symbole du temps qui passe. Aussi plat du sabbat, le poisson fait parti des repas de fêtes familiales. Symbole aussi le fluidité, de mobilité, de liberté.

La chèvre est un animal qui apparaît très régulièrement. Cet animal représente l'innocence, l'enfance, le monde serein. Elle est chanté au moment de la Pâques Juive dans une comptine appelée "La petite chèvre". Elle est représentée comme un être sans défense au milieu des conflits du monde : symbole de compassion, de tendresse, pensive , parfois mélancolique. 

Le bouc lui, fait parfois figure de double de Chagall. C'est aussi le bouc émissaire du Lévitique, exclu et chargé de toutes les transgressions, c'est celui que l'on sacrifie.

Les oiseaux, eux ont une présence plus discrète. Ils apparaissent dans les moments de paix, les moments heureux, au sein de paysages, de la nature. Le phénix, quant à lui a une signification particulière, animal qui renaît de ses cendres évoque la capacité de l'artiste à se renouveler ainsi que le peuple juif qui malgré l'holocauste, survivra aux atrocités de la guerre.

Le monde du rêve, le fantastique sont essentiels pour Chagall. La lune évoque le rêve, le sommeil et la nuit mais surtout l'intimité  parce que la lune est observée depuis la fenêtre. La liseuse ou la rêveuse à la fenêtre est aussi une scène récurrente qui représente l'intimité du foyer et l'intimité de l'être. La fenêtre est moyen d'échange entre l'intime et le public, entre le dedans et le dehors.

La musique, a elle aussi une place essentielle. C'est un thème phare pour les peintres, parce qu'il y a le challenge supplémentaire de faire entendre la musique par l'image. Chez Chagall, on retrouve des violonistes, des trompettistes et les musiciens du cirque. Chagall  a depuis tout jeune, été attiré par les musiciens de rue, les gens du cirque, notamment les clowns et les acrobates. Lui-même il s'identifie parfois à un funambule, faisant son chemin entre ciel et terre. Le cirque est associé aux rêveries aériennes, à un besoin de liberté. L'évocation du cirque permet à Chagall une certaine liberté vis à vis des règles de perspective et de toute représentation réaliste. Le cirque est un de ses thèmes favoris, il considère les gens du cirque comme de "grands artistes" qui vivent entre eux de manière autonome et auto suffisante, une sorte de modèle de fonctionnement artistique. Un monde d'illusion, hors du temps et des difficultés propres à l'existence, un monde heureux; un peu comme le monde de la peinture.

De toutes ses toiles ressort un message fort : quelque soit le lieu où il se trouve, un attachement inaltérable à ses racines juives, à sa culture russe, à sa famille et à son amour. Tout au long de sa vie d'exil, il se réfugie dans le rêve, dans sa vie de couple, dans la Russie de son enfance, et enfin  au coeur de sa peinture.

Mon coup de cœur, c'est ce tableau. Je trouve qu'il dégage quelque chose de très fort. Un couple, l'un contre l'autre, leurs regards rêveurs, tous deux tournés vers la forêt de bouleaux, les arbustes en fleurs. C'est très printanier, on sent presque le vent frais sur les visages. On ressent une sorte d'harmonie parfaite entre l'intimité du foyer et la nature paisible et flamboyante. Cette peinture c'est "Vue de la fenêtre à Zaolchie" qui date de 1915. C'est cette année que Chagall rentre en Russie et épouse Bella. Ce tableau représente les deux jeunes mariés pendant leur voyage de noces, à Zaolchie près de Vitebsk. Dehors c'est la guerre qui commence mais pour les amoureux c'est le début de leur vie de couple et on ressent la plénitude et le bonheur des retrouvailles et d'un début de vie à deux. La peinture reflète bien le plaisir que Chagall et Bella ont d'être ensemble.