mercredi 28 novembre 2012

Dans la peau d'une aide-soignante en maison de retraite


Les médias parlent régulièrement de maltraitance en maison de retraite. Laissez-moi vous faire part de l'envers du décor avec cette description de la journée type d'une aide-soignante en EHPAD...


Il est 7h40 quand je tapote le code d’entrée de l’EHPAD dans laquelle je travaille depuis deux semaines en tant qu’aide-soignante vacataire. J’arrive tous les jours  20 minutes en avance dans l’espoir  d’avoir plus de temps pour bien faire mon travail. Comme la plupart des autres jours, je ne sais pas avec qui je vais travailler. L’agent des services hospitaliers  avec qui  j’étais censée me partager le travail a été renvoyée pour absentéisme juste avant ma prise de poste début aout. Bref, peu importe il  faut faire avec. Je file au vestiaire me changer, le compte à rebours a commencé. Je monte tout d’abord mon charriot de soins, la poubelle et les sacs à linge au 5ème étage, où je suis chargée de faire les toilettes des résidents. Mais il faut d’abord que je m’occupe de servir les petits déjeuners des 4ème et 5ème étages, c’est-à-dire servir environ 20 résidents, les installer et aider les personnes qui ne peuvent pas s’alimenter seules. Pour effectuer cette tâche je possède un charriot préparé par l’équipe de nuit où il manque à chaque fois quelque chose. Alors, je recompte les bols, les pains, les sucrettes, etc. pour ne pas avoir à redescendre au rez de chaussée  chercher ce qu’il manque. Quand tout se passe bien il me faut une heure pour servir tout le monde mais bien malheureusement il est très rare de ne pas avoir d’imprévu. Une personne malade, un résident ayant envie d’aller aux toilettes ou encore une tasse renversée suffisent à me faire prendre du retard sur le planning. Après le service, il faut bien sûr débarrasser toutes les chambres et descendre le charriot à la plonge qui est au sous-sol.

 Il est déjà 9h10, il ne me reste que 2h50 pour réaliser, seule, la toilette, l’habillage, la réfection des lits, le rangement des chambres  des huit résidents dont j'ai la charge et les descendre  dans le réfectoire pour le repas du midi. Soit 21 minutes 25 secondes par résident, tout inclus et six  d'entre eux ne marchent pas ou très mal. Autant dire qu’à cette cadence impossible de respecter le rythme de la personne, de passer du temps à régler la température de l’eau des douches déglinguées. Effectuer un rasage et un brossage de dent ou prendre sa douche il faut choisir, impossible de rester zen lorsqu’il n’y a plus de vêtements propres ou corrects à mettre à la personne. Bref le temps de rien, le temps du strict minimum, le temps d’être maltraitant, le temps d’avoir honte de ne pas faire son travail correctement. La pause d’un quart d’heure prévue à midi, je ne l’ai jamais prise : impossible.
 

Midi….ouf j’ai descendu tout le monde en bas. Il n’y a qu’un ascenseur handicapé pour 5 étages où rentrent difficilement deux fauteuils roulants, mais après 4 allers retours on y arrive. Une fois dans le réfectoire,  il faut se dépêcher de finir de mettre la table, attacher les serviettes autour des cous, servir les plats, l’eau. Puis aider les personnes les plus dépendantes à manger. Bouchée par bouchée essayer de faire avaler un maximum de cette nourriture infecte aux résidents pour limiter la dénutrition. Au fur et à mesure il faut débarrasser les plats et servir sous l’œil de la directrice, de la gouvernante, de la cadre infirmière : véritables contrôleurs des travaux finis. «  N’oubliez pas de les faire boire » « Aidez Madame X à manger », « L’eau n’est pas assez fraiche », « Il faut leur parler surtout », «  Eteignez la télé », « Rallumez la télé », « Pourquoi avez-vous mis des serviettes en papiers ? » , … Venant de personnes que l’on voit une bonne partie du temps en train de boire le café dehors , la clope au bec… j’avoue qu’on l’a un peu mauvaise la réflexion. Non pas parce ça n’est pas vrai mais juste parce que nous soignants à 12h, on est épuisé, transpirant, les cheveux en bataille, le dos et les bras en compote et la tête en surchauffe. On ne réfléchit plus qu’en termes de nécessité vitale : être en vie, être propre, être habillé, être nourri et hydraté.

Il est 13h, je pars en pause pour 1h. A partir de ce moment de la journée, on sait que le plus dur est derrière nous, on sait qu’on sera moins pressé par le temps. L’autre équipe aide les résidents qui n’ont pas fini de manger, débarrasse les tables, les nettoie, change les nappes et remonte les résidents qui font une sieste.

14h : je reviens de pause avec mon binôme. L’autre équipe part prendre la sienne, elle s’occupera  du goûter en salle et dans les étages. Aujourd’hui, avec mon binône,  nous nous occupons  de changer les protections, en  terme moins académique, les couches des résidents. On commence par les changes de ceux restés dans le réfectoire. Jusqu’à 15h, il faut que l’une de nous deux reste en salle et que l’autre commence les changes dans les étages. Il y a environ 35 patients à changer entre 14 et 17h soit environ 5 min par change déplacement compris. Heureusement que les résidents ne sont pas des coucous suisses et ne font pas tous leurs besoins en même temps. Une règle pour les soignants : fuir le jour des laxatifs qui tombe souvent le lundi. Cela m’est arrivé une fois, erreur de débutante, et c’est le cauchemar. Non seulement parce qu’il y a le challenge du timing mais aussi parce que  la gouvernante ne met pas assez de gants de toilette, de protections, d’alèses et de gants en latex sur le charriot  les jours de «marasme». Et que souvent il est difficile de la trouver pour négocier le matériel qui est enfermé à double tour dans la sacro-sainte  « salle des protections » dont nous n’avons évidemment pas la clé. Branlebas de combat avec tout ce qu’on trouve : PQ « papier de cigarette » qui reste coller aux fesses, serviettes de toilette, ancienne protection, …. Déploiement d’inventivité pour maitriser le glissement de terrain.  Bref au final on y arrive tant bien que mal.

Il est 17h, on est épuisé mais contents parce que la journée passe, que c’est bientôt fini et qu’on a relevé le challenge un jour de plus. On est transpirants, on sent la merde, et on essaye de se souvenir qui a fait caca ou pas, quelle forme, quelle quantité, quelle couleur. Toutes ces informations précieuses sont à répertorier dans la « cacothèque » ou logiciel des transmissions. Comme beaucoup de logiciels professionnels, la chose est tellement bien ficelée qu’il faut confirmer par trois fois qu’une personne a fait ses besoins, soit 9 clics par patient soit en tout environ 315 clics pour la précieuse crotte que tout le monde attend comme le messie. Il est 17h15: on a le droit à un quart d’heure de pause avant de mettre la table du diner. Il est 17h30, mise en place du réfectoire et descente des 50 patients.

A 18h pétantes, tout le monde est prêt pour la soupe !! Rebelote avec le gavage. Il faut inventer de multiples ruses pour faire avaler les médicaments, pour que les bouches s’ouvrent devant les purées.

Il est 19h, tout le monde doit avoir fini de manger. Il me reste 30 min avant ma débauche prévue à 19h30. Je dois coucher 5 patients soit 6 min/patient. Là, pareil que le matin on fait comme on peut. Vade retro robe ou pantalon récalcitrants, dentier accroché, chemise de nuit absente et autre contrariété…

Il est presque 20h …la journée est enfin terminée.

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